Dans l’article « La leçon du pêcheur » j’ai parlé de ma décision de ne plus faire de
salons et marchés d’art. Mais le réel changement n’est pas cette décision, elle
n'est que le produit d’un éveil. J’ai décidé de me faire confiance, de m’écouter
et prendre mes décisions en fonction de mes envies et mon intuition.
Cela s’applique aussi sur ma manière de créer et de voir mon
métier. Je me suis cherchée longtemps, m’interrogeant sur ma profession
réelle : feutrière, designer, créatrice, artiste, artisan d’art, chef
d’entreprise ? Aujourd’hui je sais que je suis artiste.
En France on a tendance à dire qu’un artiste est quelqu’un qui crée des choses sans fonction, des choses non utilitaires. Je me suis vu
expulsée de la « Maison des artistes » parce que mes créations digressent
cette règle. Mais est-il possible de circonscrire ce qu’est l’art en le
résumant à l’objet créé ?
Je suis persuadée que l’art se définit plutôt par une manière
de penser, un processus de création et non pas (uniquement) par l’objet final. La démarche de l’artiste se distingue de celui du designer. L’approche du designer est axée sur le
résultat / l’objet. C’est aussi souvent le cas pour l’artisan d’art, ces
deux professions prennent en considération la reproductibilité de l’objet.
C’est une conversation avec une bijoutière qui m’a ouvert
les yeux sur cette différence. En discutant comment calculer le prix d’une
création, la bijoutière n’arrêtait pas de souligner à quel point il était
important de distinguer le temps de création du temps de la production. Je ne comprenais
pas la différence jusqu’à ce qu’elle m’explique : le temps de la création
est celui de la recherche, ou elle accepte de faire des erreurs, passer du
temps pour améliorer des choses, trouver des nouvelles formes et textures.
C’est le temps où elle conçoit des nouveaux produits, des prototypes. Ensuite,
pendant le temps de la production, elle reproduit les résultats. Le temps de la
création est donc considérablement plus long que le temps de la production.
La différence entre artiste et artisan d’art n’est-il-pas
là ? L’artiste ne passe jamais en mode de multiplication (à part quand
cela fait partie d’un concept), il est tout le temps en mode de création. Je n’ai
jamais réussi à reproduire un objet. Non pas que j’en suis incapable mais cela
m’ennuierait à un point de ne plus vouloir travailler.
Ce qui m’anime est de chercher dans la matière des réponses
à des questions que je n’arrive même pas forcément à formuler avec des mots.
Au-delà d’une idée du départ, je suis avant tout hantée par la question : qu’est-ce
qui se passe si… ?
L’artisan d’art apprend son métier et suit des règles
propres à ce métier. Ces règles donnent la noblesse à son travail car elles
font parties d’un patrimoine, d’un héritage de savoir-faire. Il les adapte bien
sûr à sa personnalité. Il va enrichir et faire évoluer ce savoir-faire par ses
propres expériences, améliorer ou changer certaines manières de faire mais il
reste fidèle à des règles propres à son métier.
Quand j’ai commencé à feutrer, j’ai appris ce métier tel un artisan
d’art. Je me suis instruit en autodidacte par des livres et par des stages
auprès de professionnels pour connaitre les diverses techniques et règles
propres à ce métier. Quand je vois aujourd’hui
un objet feutré je sais comment il faudrait faire pour le dupliquer. Jusqu’à
cette rencontre avec la bijoutière, j’ai cru être artisan d’art.
L’artiste se base sur un savoir-faire pour avancer dans son
apprentissage personnel tous les jours, il interroge et transgresse des règles,
même ses propres règles. Je m’en suis
rendu compte quand j’ai commencé à enseigner. J’ai la chance d’avoir des
stagiaires fidèles qui reviennent régulièrement. Il y en a beaucoup qui s’amusent
de moi car d’un stage à l’autre je peux leur dire une certitude et la fois
d’après affirmer le contraire. Je crée dans le moment, j’adapte mes méthodes en
fonction de la situation instantanée, de l’œuvre à naître et d’une manière
intuitive.
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Détail d'un gilet d'art Ariane Mariane : Laine feutrée, teinture naturel, appliquée en piqué libre avec soies partiellement peint à la main |
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Gilet d'art Ariane Mariane , Détail : Laine feutrée, dessin en piqué libre et tissus partiellement peint à la main |
Plus j’avance sur mon chemin d’artiste textile, plus je me
libère des règles. Je m’éloigne chaque jour du métier de « feutrière »
en ajoutant d’autres techniques. Ainsi je peins de plus en plus les tissus que
j’incruste dans la laine et intervient également sur des créations feutrées avec de la peinture, du transfert, la
sérigraphie ou l’impression.
C’est surtout la broderie en piqué libre qui est devenue
partie intégrale de mon art. Dans mon approche j’ai toujours considéré les
fibres de laine comme de la peinture. La broderie s’est imposée à moi car je
cherchais un trait plus en finesse. Tel un crayon dans un croquis, le piqué
libre crée des lignes imprécises qui donnent vie aux peintures de laine, tout
en délimitant des formes. La broderie rehausse et souligne les dessins. En même
temps elle transforme la surface en profondeur, créant des effets de relief.
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Détail sac sculpture : la broderie comme trait, donnant du relief à la surface |
Depuis peu la broderie se transforme sous mes mains en
couture, enfreignant ainsi une autre règle très respectée des feutriers. Pour les feutriers c’est pratiquement un
point d’honneur de créer tout objet sans employer la couture. Il faut une
certaine technicité pour arriver à des beaux volumes sans que la jonction se voit. C’est un
savoir-faire précieux. J’ai fait moi-même
partie de feutrières qui regardent avec un œil méprisant ceux qui joignent des
morceaux de feutre avec des points de couture.
Mais en m’affirmant artiste, je ne peux plus voir du mal. Pourquoi s’interdire des choses si elles permettent d’exprimer quelque chose ou de se faciliter des tâches ? J’apprends, je maîtrise et ensuite j’adapte à mes besoins.
Mais en m’affirmant artiste, je ne peux plus voir du mal. Pourquoi s’interdire des choses si elles permettent d’exprimer quelque chose ou de se faciliter des tâches ? J’apprends, je maîtrise et ensuite j’adapte à mes besoins.
Reste donc uniquement le fait que mes œuvres picturales et
sculpturales sont souvent fonctionnelles. J’ai besoin de la fonction pour
pouvoir créer. Cela me donne l’impression de ne pas faire quelque chose
d’inutile. Mais les vêtements ou accessoires ne sont que des prétextes me permettant
de me lâcher et de faire parler la matière.
Si pour certain cet attachement m’éloigne des véritables artistes, ils auront alors raison de ne pas considérer mon œuvre comme étant de l’art.
Si pour certain cet attachement m’éloigne des véritables artistes, ils auront alors raison de ne pas considérer mon œuvre comme étant de l’art.
L’expulsion de la Maison en 2014 m’avait vachement
bouleversé à l’époque. Au finale c’était peut-être une très bonne chose. Elle m’a
amené à m’interroger sur ce que je fais et qui je suis professionnellement.
J’ai appris à me faire confiance et de m’affirmer plus que jamais en tant
qu’artiste!
Merci Ariane pour ce nouvel article qui permet de mieux 'conceptualiser' ton métier.
RépondreSupprimerQue ton art soit majoritairement fonctionnel est une chance. C'est plaisant de porter des créations uniques...
Passionnant de lire ton cheminement, merci pour ce beau partage !
RépondreSupprimerI am so sorry to read what happened to you in 2104, you are an artist and the one I have admiring for years! Never mind the sewing either, there are felt makers on both sides of this argument :) I wish you great success and hope to meet one day!
RépondreSupprimerYou're so sweet! I finally see it as a chance. It helped me to confirm myself. Life is made for progressing :). Best wishes your way
SupprimerBonjour Ariane
RépondreSupprimerJe découvre à la fois votre travail et je viens de lire la leçon du pêcheur et ce "coming out", merci, quel bien vos articles m'ont fait!
Je suis créatrice de bijoux et je ne me considère pas comme "bijoutière" car comme vous, je ne supporte pas de devoir refaire la même chose, la reproduction est mortifère pour moi. Et comme vous, je me suis poussée au-delà de mes limites pour être plus "rentable" et tenter de coller à ce qui est attendu d'une créatrice de bijoux : des collections, des pièces sur mesure, un catalogue de pièces reproductibles, des transformations ou des réparations, un site internet, des newsletter, les réseaux sociaux et enfin le pire salons et marchés qui me mettent dans un état d'anxiété telle que j'ai dû renoncer. Et en essayant de rentrer dans ce moule, j'ai abimé ma motivation, pire je me suis perdue... Aujourd'hui je dois réinventer mon activité et la libérer de toutes ses contraintes et normes que je me suis imposée...toute seule et redevenir ce pêcheur qui vit comme ill l'entend.
Merci de ce témoignage
Merci Lucie pour votre témoignage touchante. Je suis heureuse si mes réflexion, peuvent vous aider aussi à faire le tri. J'espère que nous retrouvons toutes les deux la passion et puis savourons le bonheur de la création!
Supprimeroh mais il me semble que tu es tout à la fois,
RépondreSupprimerune formidable designer, une excellente artisan d'art et un talentueuse artiste !
car c'est à la fois ta créativité, ton savoir-faire et ta sensibilité qui font de toi cette merveilleuse personne,
tu es trop forte !
Valérie Barthelemy
Touché au fond de mon cœur, chère Valérie! MERCI!
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